Mesure de la déformation d’un noyau exotique aplati comme une citrouille
Une collaboration internationale, à laquelle participent des physiciens du CNRS/IN2P3 et du CEA, vient de mesurer, au Ganil (1) , pour la première fois au monde, la déformation d’un noyau atomique « excité » produit par fragmentation d’un faisceau de noyaux stables. Les premiers résultats montrent que le noyau est aplati comme une citrouille.
La forme d’un noyau excité est l’un des paramètres les plus difficiles à sonder de la physique nucléaire. L’accès à ce paramètre va permettre aux chercheurs d’améliorer leur description des noyaux atomiques et d’affiner ainsi les modèles de physique nucléaire, utilisés pour étudier de nouvelles filières énergétiques ou les réactions qui se déroulent dans les étoiles.
Aujourd’hui les chercheurs utilisent des accélérateurs de particules pour produire de nouveaux atomes radioactifs. Ces atomes ont des noyaux dits exotiques, qui ne comportent pas le nombre normal de protons et de neutrons. Dans le « grand dictionnaire des noyaux exotiques » que les physiciens ont beaucoup enrichi ces dernières années, on trouve des paramètres tels que la durée de vie, la masse, l’aimantation et la forme. Ces paramètres servent à décrire les noyaux et à vérifier que les modèles actuels sont conformes à la réalité physique. Ces paramètres et ces modèles sont également utiles là où l’on rencontre des noyaux radioactifs, par exemple pour l’étude de filières d’énergie nucléaire alternatives (2) />ou dans les étoiles, gigantesques chaudrons où se produisent d’innombrables réactions nucléaires.
Les physiciens travaillant au Ganil ont déterminé la forme d’un noyau exotique dans un état excité bien particulier appelé « isomère ». Les états excités sont des états d’énergie supérieure à l’état fondamental (l’état dans lequel se trouve normalement le noyau). Ils ont en majorité des durées de vie infiniment brèves, bien inférieures à la picoseconde (3)/>. Les isomères, en revanche, « survivent » plus longtemps (plusieurs centaines de nanosecondes (4)/>). Sortes de jumeaux des états fondamentaux, les isomères fournissent aux théoriciens un point de comparaison permettant de mettre en lumière la structure du noyau (5)./> Toutefois leur durée de vie reste courte, ce qui rend leur étude particulièrement délicate.
Le noyau exotique considéré est le fer 61, avec 26 protons et 35 neutrons (le fer normal en comportant 30). Les isomères de fer ont été produits en projetant du nickel, accéléré à une vitesse de 100 000 kilomètres par seconde, sur une cible de beryllium. Le noyau de nickel se casse et les fragments sont triés à l’aide de l’un des spectromètres du Ganil (6)./> Le temps de vie de l’isomère de fer recherché étant de 245 nanosecondes, il faut rapidement l’étudier avant qu’il ne se désexcite. De fait, la moitié des noyaux produits disparaît avant d’atteindre le cristal de cadmium qui permet de réaliser la mesure. Le champ électrique régnant à l’intérieur du cristal révèle l’existence d’une déformation. Le noyau est aplati, ressemblant à une citrouille. C’est la première fois que la déformation d’un noyau exotique excité produit par fragmentation est possible. Cette méthode ouvre une nouvelle voie dans l’étude des noyaux exotiques loin de la stabilité.
La méthode de mesure : faire tourner les noyaux comme des toupies
La structure cristalline du cadmium est hexagonale. Le champ électrique régnant au cur de ce cristal n’est pas homogène. Lorsqu’un noyau vient s’y loger, il est soumis à ce champ. Si la distribution des charges dans le noyau n’est pas sphérique, les inhomogénéités du champ créent une force qui met le noyau en rotation. Or, lors de leur implantation dans le cristal, les noyaux sont orientés suivant une direction connue, obtenue grâce au processus de fragmentation qui « coupe » le noyau selon des axes définis. Les physiciens observent le rayonnement émis par les isomères lorsqu’ils se désexcitent (il s’agit de rayons gamma). Sa direction trahit l’orientation du noyau. Comme les noyaux tournent, l’axe d’émission des rayons gamma varie en fonction du temps. Il est donc possible de suivre cette rotation, en regardant la direction selon laquelle sont émis les rayons gamma. Cette rotation est directement liée à la forme du noyau étudié.
Notes :
1) Grand accélérateur national d’ions lourds (CNRS/CEA), situé à Caen.
2) De même que la filière de l’uranium synthétise de nouveaux noyaux tel que le plutonium, les futures filières alternatives aujourd’hui à l’étude produiront également leurs propres noyaux radioactifs.
3) une picoseconde = 10-12 seconde
4) une nanoseconde = 10-9 seconde
5) De même qu’il est nécessaire de connaître le comportement de l’eau dans diverses conditions de température et de pression (glace, vapeur, etc) pour bien comprendre la nature des interactions entre les molécules de l’eau liquide et donc pour bien décrire ce corps, il est également nécessaire d’étudier divers états du noyau atomique pour en connaître la nature.
6) nommé Lise, pour ligne d’ions super épluchés
Contacts : |
Contacts chercheurs : Philippe Chomaz, Tél : 06 84 95 00 74 Mél : [email protected] Jean-Michel Daugas, Tél : 01 69 26 62 92, Mél : [email protected] Contacts presse : CNRS CEA |
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