Enseignement supérieur et recherche 2012 : retrouver le service public
Communique de presse – Le secteur de lEnseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) a connu des bouleversements considérables depuis 2005. Cest un domaine où la droite a avancé avec détermination et réussi avec brutalité à imposer de nombreux changements dans lorganisation du secteur. Valérie Pécresse narrête pas de proclamer que cest un grand succès du gouvernement Fillon.
Sur la base de nombreux mensonges
et parce que les effets les plus délétères de sa politique, dénoncés par
toutes les instances représentatives des personnels, commencent
seulement à se concrétiser fortement, son discours passe encore, avec la
complaisance de la plupart des médias.
Létat des lieux
Avant de présenter des propositions pour une autre politique de
développement du service public de lenseignement supérieur et de la
recherche, il convient de faire un rappel des événements de ces
dernières années. Ce nest pas simple. On peut dégager trois étapes : le
pacte pour la recherche, la LRU et le grand emprunt, auxquelles il
convient dajouter le développement exorbitant du crédit dimpôt
recherche.
Loi de programme pour la Recherche (Pacte pour la recherche, 2006)
Avec le Pacte pour la recherche, cest la création dagences «
indépendantes », lAgence national de la recherche (ANR) et lAgence
dévaluation de la recherche et de lenseignement supérieur (AERES). La
mission de lANR est de mettre en place le financement sur projet de la
recherche au lieu du financement principalement récurrent, détruisant
ainsi les capacités de programmation scientifique aussi bien au niveau
national pour le CNRS, principal organisme de recherche, que local pour
les laboratoires qui nont plus aucune autonomie de fonctionnement. La
conséquence la plus grave aujourdhui est lexplosion de la précarité,
qui devient structurelle, puisquune large proportion des financements
est sur projet.
Un autre aspect important de lANR, commun avec lautre agence pour
lévaluation, lAERES, est de marginaliser les conseils élus qui
jouaient un rôle central au CNRS et dans les universités au profit dun
fonctionnement de cooptation opaque, de passer dun système collégial à
un système de management autoritaire.
LAERES est rejetée par la quasi-totalité du secteur. Elle a une très
faible légitimité et est boycottée par une partie des chercheurs qui
refusent de participer aux expertises. Elle a des difficultés de
fonctionnement qui ont conduit récemment à la réduction de la fréquence
des évaluations.
Pour lANR, les positions sont plus partagées, une partie des personnels
ayant une opposition de principe au financement sur projet, une partie
considérant quun tel financement est un complément utile au financement
récurrent des laboratoires. Les critiques se focalisent alors sur
léquilibre entre le volume des financements récurrents et des
financements de lANR, sur le fonctionnement opaque de lagence avec des
comités formés par cooptation et sur la question de pilotage de la
recherche avec des appels doffre favorisant des thématiques précises et
tournées vers les débouchés industriels. Le gouvernement a lâché du
lest sur ce dernier point en augmentant la part des appels doffre «
blancs » c’est-à-dire sans cadre thématique prédéterminé.
Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU, 2007)
On a davantage parlé de la LRU, qui a entraîné à retardement, au moment
des décrets dapplication au premier semestre 2009, un grand mouvement
de revendication dans les universités. La LRU repose sur une tromperie
sémantique : elle prétend consacrer l « autonomie des universités »,
une notion a priori positive, alors quelle transfère de nombreuses
charges administratives aux établissements sans contrepartie financière
suffisante, que létranglement budgétaire qui en résulte livre
luniversité aux décisions autoritaires du gouvernement et aux appétits
potentiels du secteur privé. Comme pour les agences, elle fait passer le
fonctionnement interne de luniversité dun système collégial à un
système de management autoritaire, entre les mains dun président et de
son entourage réduit.
Investissements davenir (grand emprunt, 2011)
La dernière étape, cest le grand emprunt. Contrairement aux étapes
précédentes, il ne sagit pas de dispositifs législatifs, mais dun
processus entièrement piloté par le gouvernement à lécart de tout
discussion démocratique que ce soit au parlement ou dans les instances
professionnelles. Limpact structurel est potentiellement énorme mais
entièrement caché. Le grand emprunt cest dabord un montage financier
délirant : létat emprunte de largent, le capital emprunté est attribué
à des projets universitaires qui se financent sur les intérêts de
largent après replacement. Deux astuces : les intérêts de lemprunt ont
déjà été déduits des budgets récurrents tandis que les produits
financiers viendront plus tard et pas au même endroit ! Les sommes
dargent ne vont pas être énormes mais leur redistribution va entraîner
des modifications majeures de lEnseignement Supérieur et de la
Recherche en France sans quaucun débat politique nait eu lieu, puisque
tout est caché dans la procédure technique du grand emprunt. Lidée
générale est de concentrer les finances sur un petit nombre de pôles
déclarés excellents. Pour faire sérieux, des appels doffres sont lancés
et des experts internationaux sont mobilisés en masse pour sélectionner
ces pôles. En fait tout est connu davance et si par malheur les
experts nont pas deviné la bonne réponse, on change les règles du jeu.
De toute façon personne ne les connaît vraiment et tout repose sur le
copinage, si possible très haut placé à Matignon et à lElysée.
Lenseignement supérieur et le recherche se trouvent aujourdhui dans
une situation de crise sans doute plus grave que celle qui a conduit au
grand mouvement de 2009 : effondrement des crédits réels des
laboratoires au profit de lenrichissement virtuel de quelques uns,
déstabilisation complète des structures existantes au profit
dappellations ronflantes aussi opaques quinconsistantes, stérilisation
croissante de lactivité des personnels détournée vers la réponse à des
appels doffres avec un taux de succès en forte décroissance, et
finalement mise en uvre de la RGPP dans les organismes de recherche et
bientôt à luniversité. Les présidents duniversité qui ont joué la
carte de LRU sont décrédibilisés puisque toutes les décisions du grand
emprunt ont piétiné la prétendue autonomie des universités et que la
mise à lécart de régions françaises entières au profit de quelques
grands centres met à mal la cohésion du lobby quils ont constitué. La
logique qui sous-tend lensemble du processus piloté par le gouvernement
est la mort du service public de lenseignement supérieur au profit de
la création de quelques pôles dambition mondiale en conformité avec la
stratégie de Lisbonne visant à créer un marché mondial de la
connaissance et la mort lente du reste.
Crédit dimpôt recherche (CIR)
Le seul poste budgétaire qui bénéficie dune hausse réelle et énorme est
le crédit dimpôt recherche qui distribue sans contrepartie et sans
évaluation des avantages fiscaux exorbitants à des entreprises privées,
principalement les grands groupes qui nont cessé de liquider leur
activité de recherche interne et qui continuent dans cette voie. Seule
une infime proportion va aux destinataires légitimes que pourraient être
les petites entreprises innovantes. Le CIR sajoute à létranglement de
la recherche publique dans la logique de vassalisation de celle-ci aux
intérêts privés industriels et financiers.
Nos propositions
Nos propositions sarticulent suivant deux volets : des mesures
conservatoires à effet immédiat pour enrayer leffondrement en cours de
lESR et des décisions de principe pour démontrer notre volonté de
reconstruire le service public de lenseignement supérieur sur de
nouvelles bases. Ces décisions seront suivies dune large concertation
avec tous les représentants du secteur pour la définition dune nouvelle
organisation.
Mesures conservatoires immédiates
Ces mesures concernent principalement le fonctionnement interne de lESR.
– réorienter durgence la totalité des autres lignes budgétaires de la recherche vers le financement récurrent
financements sur projet, principalement à lANR
transfert aux organismes et aux universités de la totalité des crédits
déquipement et de fonctionnement et de ceux affectés aux personnels sur
CDD. Ces derniers doivent venir à lappui de la création demplois
titulaires en limitant le recours aux CDD à des cas particuliers
strictement encadrés, tels que celui des visiteurs étrangers.
financement du grand emprunt, géré par lANR
gel de toutes les décisions prises en 2011 dans des conditions
scandaleuses et rediscussion de leur affectation dans le cadre de
décisions globales sur lavenir du grand emprunt.
crédit impôt recherche
transfert aux budgets de la recherche publique de la plus grande partie
du CIR dont seule une proportion modérée doit pouvoir bénéficier à des
petites entreprises sous la condition expresse dune évaluation
scientifique réalisée par les instances dévaluation de la recherche
publique
– interrompre le processus en cours dindividualisation des
rémunérations sur un fond de paupérisation de la majorité, réorienter la
totalité des crédits affectés à lattribution de primes vers
lamélioration du traitement de tous.
– stopper immédiatement et définitivement lapplication de la RGPP qui a
été entamée à la hussarde en octobre 2010 dans les organismes de
recherche
– dissoudre lagence dévaluation AERES, effectuer temporairement les
fonctions dévaluation indispensables suivant les modalités antérieures à
la création de lagence avant que de nouvelles modalités ne soient
définies collectivement.
Décisions de principe à annoncer immédiatement
Ces décisions concernent principalement le rôle de lESR dans le cadre du service public.
réaffirmer la mission prioritaire du service public de lenseignement
supérieur et la recherche en termes de légal accès à la formation
supérieure de tous les jeunes français quelque soit le lieu
dhabitation, les revenus et le milieu socioculturel de leur famille, et
de loffre aux jeunes étrangers qui le souhaitent dune formation
supérieure dans une vision de contribution au développement, à la
coopération entre les peuples et au rayonnement de la culture française.
Il sagit dune rupture complète avec la philosophie impulsée par le
gouvernement, mise en uvre par une partie des présidents duniversités
et fréquemment soutenue par les exécutifs régionaux. Dans le cadre de la
stratégie de Lisbonne qui vise à créer un marché mondial de
léducation, il sagit aujourdhui de dégager un petit nombre
duniversités de taille mondiale, susceptibles dêtre compétitives dans
un marché globalisé et sautofinançant sur la base de frais
dinscription exorbitants et de financements privés. Il sagit dun
nivellement culturel autour dun modèle unique à connotation
néo-libérale anglo-saxonne. Un tel fonctionnement existe déjà en France
pour un certain nombre de grandes écoles privées, en particulier de
commerce.
– repenser le concept dautonomie qui doit sinsérer dans un
fonctionnement collectif au niveau national. Discuter des relations
nécessaires entre des universités autonomes dans le cadre dun service
public national de lenseignement supérieur. Rechercher des solutions à
la dérive en cours vers un ensemble détablissements placés en
compétition, dérive rappelant les difficultés quont les exécutifs
régionaux à coordonner leurs politiques dans un contexte de
décentralisation.
– reconstituer le fonctionnement démocratique à luniversité et dans les
organismes de recherche avec alignement sur des principes démocratiques
de la composition des conseils dadministration et de lélection du
président. Renforcer le rôle des élus nationaux et locaux dans les
conseils. Transformer le rôle consultatif des conseils centraux, en
particulier scientifiques, dans les organismes et les universités en un
rôle décisionnel sous la condition dune majorité qualifiée à définir.
Décentraliser fortement le fonctionnement sur la base de lautonomie des
entités disciplinaires et ramener la présidence à un rôle de gestion,
darbitrage et de représentation.
– repenser lorganisation de lévaluation de la recherche et
denseignement supérieur suivant les principes de luniversalité et de
la collégialité
Les principes énoncés ci-dessus sont incompatibles avec le pacte de la
recherche, la LRU et le grand emprunt dans leurs principes et dans leur
mise en oeuvre. Cest aussi la stratégie de Lisbonne et la construction
marchande et anti-démocratique de lUnion européenne qui doit être
remise en cause.
Il ne faudrait cependant pas croire quun retour à la situation
antérieure serait satisfaisant. La communauté scientifique sétait
exprimée en 2004, dans le cadre dEtats Généraux de la Recherche, elle a
fait une analyse des difficultés du système et des propositions
concrètes pour les atténuer. Ces propositions ont été utilisées et
dévoyées par le gouvernement, avec laide dune partie de la communauté
universitaire qui a défendu ses intérêts. Il en résulte aujourdhui une
grande méfiance envers le monde politique et en particulier le Parti
socialiste qui persiste dans son incompréhension des enjeux. Ainsi le
forum des idées organisé par le PS le 18 mai 2011 à Toulouse sur le
thème de lESR ne donne la parole à aucune organisation représentative
du personnel mais à quatre présidents duniversité, alors que le lobby
que constitue la conférence des présidents duniversités (CPU) est
discrédité dans la communauté universitaire.
Pour République et Socialisme, sil revient à la volonté générale à
travers ses représentants élus de définir les missions de lenseignement
supérieur et de la recherche, ce nest pas par une consultation alibi
mais par une révolution démocratique des services publics comme des
entreprises, par lélimination de lautoritarisme technocratique et
capitaliste, que la république sociale que nous appelons de nos vux
pourra se construire.
Contact
B. Jussurand [email protected]
Ou
Secrétariat National R&S [email protected]
Site : www.republiqueetsocialisme.fr
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