Communiqué de presse – Jeudi 3 Novembre 2005 – Veuillez trouver ci-dessous la lettre ouverte du recteur André Hurst sur la prise de position du prof. Andreas
Lettre ouverte sur la prise de position du prof. Andreas Auer
La prise de position du professeur Andreas Auer a retenu lattention de tous : fumeurs et non fumeurs, marchands de tabac et consommateurs ont vu dans lidée que linterdiction de fumer dans les locaux publics serait contraire à la Constitution, une position à laquelle on ne peut rester indifférent.
Touchée par « laffaire Rylander », du nom de ce professeur suédois qui enseignait à temps partiel chez nous et recevait des fonds en provenance de lindustrie du tabac, et pionnière dans linterdiction de fumer à lintérieur de ses locaux, lUniversité de Genève ne peut demeurer silencieuse lorsque lun de ses membres se manifeste ainsi sur la place publique.
Auer concernant l’interdiction de la fumée dans les espaces publics.
Rappelons tout dabord que le professeur Auer est un spécialiste reconnu du droit constitutionnel, et quà ce titre, il est normal quon le consulte lorsquil sagit de problèmes touchant à la Constitution.
Notons également que le professeur Auer na pas caché lorigine de la commande qui lui a été faite : cest lindustrie du tabac qui la mandaté, et il ne la pas dissimulé, ce qui permet à tout un chacun dexercer son esprit critique et de tirer les conclusions qui viendront appuyer ou infirmer le contenu de lavis de droit.
Cependant, si le professeur Auer est spécialiste de la Constitution, il nen sait pas davantage que l « homme de la rue » sur dautres questions, et notamment lorsquil sagit de problèmes dordre médical.
Du point de vue scientifique, son avis repose sur un simple « doute » qui existerait relativement à la nocivité de la fumée passive. Donc, lorsque vous enfumez votre voisin, il serait « douteux » que cela nuise à sa santé, et votre droit de lenfumer devrait être préservé si lon ne veut pas violer la Constitution. Ce droit reposerait donc sur un doute.
Position élégante : qui osera jamais dire quon ne peut douter de rien ? Doutons, par conséquent, de la nocivité de la fumée passive, et construisons sur ce doute. Après tout, les vrais sceptiques doutent même de lexistence de lunivers, lequel pourrait nêtre quune illusion, alors pourquoi ne pas douter de lune quelconque de ses composantes ?
Revenons sur terre : au niveau de lexistence concrète qui est la nôtre tous les jours, nous ne pouvons nous permettre de douter à jet continu. Or, sur la nocivité de la fumée passive, en létat de nos connaissances médicales, il ny a justement plus de doute. Cest dailleurs la raison pour laquelle le Dr Rielle et M. Diethelm ont été récemment blanchis par la justice genevoise de laccusation de diffamation que le professeur Rylander avait lancée contre eux.
Le colosse construit par le professeur Auer semble donc reposer sur des pieds dargile : remplacez ce doute si pratique par les affirmations (si gênantes.) de la médecine, et le reste ne tient plus.
Autre habileté : interdire de fumer dans les lieux publics serait une « dérive » du « politiquement correct ».
Sonnez trompettes, voici la « tarte à la crème » : voulez-vous stigmatiser quoi que ce soit ? Dites que cest une « dérive du politiquement correct ». Noublions pas, cependant, quil fut un temps où labolition de lesclavage, ou la fin de lapartheid, ont pu être considérés comme des dérives du politiquement correct On dira même, en plaisantant à peine, que dénoncer la dérive du politiquement correct est devenu à son tour une véritable dérive du politiquement correct.
Question dure au rectorat : lUniversité na-t-elle pas émis une directive interdisant, à la suite de laffaire Rylander, daccepter des fonds en provenance de lindustrie du tabac ?
Oui.
Comment se fait-il quun professeur puisse agir contre cette directive ?
On pourrait détourner la question en parlant de liberté dexpression, on pourrait rappeler que, dans sa fonction universitaire, un chercheur est au bénéfice de la liberté académique (destinée, il faut le rappeler, à préserver les intérêts de la collectivité). Laffaire nest pas si simple : il est ici clairement question de la provenance des fonds.
Certes, le professeur Auer est professeur à lUniversité de Genève, mais il ne lest pas à plein temps ; il a dautres activités, dans lexercice desquelles nul ne saurait le considérer comme soumis à des directives de lUniversité. Dans cette partie de sa vie professionnelle, lUniversité nest pas son employeur. Ainsi par exemple, on ne saurait évidemment blâmer un professeur de droit qui est aussi avocat, de défendre des individus ou des institutions peu recommandables. Mais un avis de droit, qui plus est destiné à une revue juridique, est autre chose. Son auteur engage la fonction propre de lUniversité, et le soutien de lindustrie du tabac dans cette activité académique viole au moins lesprit de la directive.
Il vaut la peine de rappeler ici la mission de notre institution aux termes de la loi sur lUniversité, (article 1A), qui est « de développer et diffuser une culture fondée sur les connaissances scientifiques ».
Est-ce bien ce que fait le professeur Auer dans son avis de droit ?
A notre tour de douter.
Mais soyons plus pragmatiques : depuis un an que linterdiction de fumer dans les locaux de lUniversité de Genève est en vigueur, sans accrocs, nous avons pu vérifier la valeur de la vieille maxime attribuée à Robespierre : la liberté dun citoyen sarrête là où la liberté dun autre citoyen commence. Que cette leçon nous évite de vaines polémiques.
André Hurst
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