Exposition de l’écrivain et artiste peintre Mahi Binebine au Portugal Du 27 juillet au 30 septembre: Au Musée Archéologique de Silves A l’église de la Miséricorde Sives (Algarve, Portugal)
Karin Adrian v. Roques, Historiadora de arte
IMPRESSIONS D’ATELIER
Des masques expressifs posés sur des toiles, des couleurs d’une luminosité magique, voilà ce qui rend les tableaux de Mahi Binebine attirants et attachants. Mahi est un peintre, un poète. Ses tableaux racontent des histoires, ses histoires peignent des tableaux. Et ce avec une maîtrise remarquable, bien que sa carrière artistique soit encore jeune. Un rêve s’est mué en aventure initiatrice. Un rêve dans lequel Mabi Binebine revient sur les lieux de son enfance, une maison au Maroc. Il décrit ce rêve à un ami espagnol dans une lettre qu’il n’enverra pas, et qui deviendra, une année plus tard, la première page du “Sommeil de l’esclave”, son premier roman. Tout a un début. Quelque chose vient d’éclore, cherche à s’exprimer. Le désir gardé secret de devenir artiste se réalise.
Ce sont les souvenirs de ses origines au Maroc, de cette lumière ineffable, de ces couleurs vives, mêlés aux empreintes du monde occidental dans lequel il vit maintenant le Vieux Monde avec l’Europe et Paris, le Nouveau Monde, avec l’Amérique et New York , qui constituent la substance de ses romans et tableaux.
L’écriture l’a amené à la peinture. L’écriture ne peut pas toujours tout exprimer. Comment décrire avec des mots les couleurs de Marrakech, la ville où Mahi Binebine a grandi? Ce rouge bien singulier dans lequel Marrakech semble s’immerger, la “couleur officielle de la ville” comme il l’appelle. Et, à côté de cette couleur de feu, on trouve le bleu de cobalt qui hante son esprit. Était-ce celui des “Jardins Majorelle”? Ces jardins sont vraiment bleus bleus !
Les peintures immatérielles de Mahi Binebine cherchent à capturer ces phénomènes de couleurs. Afin d’atteindre une intensité maximale, I’artiste frotte des pigments d’huile sur les divers matériaux qu’il incorpore à sa toile.
Dans certaines oeuvres, les visages émergent des surfaces de couleurs, comme des souvenirs vagues, imprécis, comme des ombres du passé comme jadis un certain rêve , qui affleurent et tourmentent la conscience, et encore plus, comme quelque chose qui s’évade des limites spatiales et temporelles. Ces visages sont, par une grande simplicité, réduits à quelques traits, et dans leur simplicité, presque austérité, sont d’une éloquence extrême. Cette expression de mutisme, où se cache un sentiment d’angoisse et de gêne, nous est familière. Ce sont des bouches qui ne parlent pas, des yeux qui ne peuvent pas voir. Ce sont des visages déchirés.
Et c’est cela même qui, en vérité, constitue le thème de prédilection de l’artiste. Il ne peint plus des visages mais des masques grâce auxquels il a renoué avec sa terre d’origine, I’Afrique. “Les masques”, déclare Mahi Binebine, “représentent l’Afrique. Là-bas, le masque n’est pas destiné à cacher mais à révéler, à exposer. Pour moi, il est tout ce que la bouche ne dit pas”. Et ici, le démon que l’on veut peut-être exorciser s’appelle répression, esclavage. C’est pour cette raison que l’on retrouve dans de nombreux masques de l’artiste cette expression de détresse et d’oppression. Cela aussi fait partie de l’Histoire de l’Afrique.
Le thème des masques est multiple. Dans la réflexion qu’il porte sur le sujet, Mahi Binebine essaie d’établir la synthèse des deux cultures auxquelles il appartient. Ainsi, déclare-t-il, “j’ai fait de mon mieux pour garder un pied dans l’endroit où je suis né et l’autre où je vis.” Ce qui signifie aussi pour lui que ce sentiment de chez-soi partagé entre deux cultures si différentes constitue une source inépuisable d’inspiration.
Souné Prolongeau-Wade
in Passages, 2005
(…) Ici, un homme repose sur une arête d’outre mer, suspendu dans un éther délicatement irisé de mauves, de roses, de bleus célestes, sorte de nymphéas nous renvoyant à un monde irréel.
Ces corps en lévitation sont au-delà de la souffrance. Elevés vers un ailleurs où les douleurs s’effacent, où la lumière n’est plus celle des astres, mais celle des âmes libérées. Ces corps ne disent pas la mort, mais le silence qui lui succède.
Le monde de Mahi Binebine est ainsi. Il dit le tragique de ces hommes et femmes désespérés qui ont tenté l’ultime voyage. Il nous fait passer de l’autre côté du miroir, sans pathos. La palette éclatante ouvre l’espace à la vie, une autre vie, mystérieuse, une vie sans nous. (…) Passants de misère, passeurs de mort: ici, l’un porte l’autre, sur sa tête dressée. Belles têtes fières, immobiles, aux yeux grands ouverts sur le néant de la nuit.
Là, sur une autre toile, la valise enserrée de cordes et de barbelés dit les camps traversés par la silhouette qui se dresse, totem figé à la limite des frontières. Corps entravés, corps ouverts, tranchés, disloqués dans lesquels le sang ne coule déjà plus.
Oui, le monde de Mahi Binebine est ainsi. Parce que “nous ne pouvons vivre que dans l’entrouvert, exactement sur la ligne hermétique de partage de l’ombre et la lumière” (Michaux). Un monde sans espoir, mais qui, au fil de luvre s’est illuminé des couleurs de la vie, une vie après la vie. Parce que Mahi, homme grave, est aussi un homme qui rit pour chasser les fantômes, pour dire l’indicible horreur avec cette tendresse qui l’habite, cette humanité et cette confiance qui nous font, malgré tout, tenir debout (…)
Hicham Raji
in Lunivers triste et passionnant de Mahi Binebine, Roma, 2003
(…) Il se fait connaître dabord comme peintre, en France, puis aux Etats-Unis où il sinstalle pour une période (1994-1999). Dans le roman, il se fait remarquer dès sa première uvre, Le Sommeil de lesclave (1992). Puis il publie régulièrement des écrits, au rythme dun tous les deux ou trois ans. Bien que ses romans soient connus au Maroc depuis les années 90, il nexpose ses peintures au pays que depuis 1999. En 2002, il se réinstalle à Marrakech, sa ville natale, qui na dailleurs jamais quitté ni ses uvres, ni ses souvenirs. Il y revient, dit-il, pour écrire et peindre différemment, pour se ressourcer ou pour tourner une page de sa vie, pour y retrouver ce qui a nourri ses écrits et, surtout, ces couleurs qui donnent tellement de vie à ses toiles.
En parcourant la production artistique de Binebine, on est tout le temps devant un paradoxe: lunivers quil crée ou décrit, autant dans ses écrits que dans ses tableaux, est terriblement triste, souvent tragique. Pourtant cet univers est plein de vie. Les masques, si abondants dans ses toiles, toujours suspendus dans le vide, semblent figés et livides. Mais ces masques nous parlent mieux que ne peut le faire la parole. Ils se figent pour mieux nous dire les choses, autrement. La présence des masques trahit lobsession de lAfrique, comme ce fut le cas pour dautres peintres, un siècle auparavant.
Dans la peinture de Binebine, ce sont surtout les couleurs vives et les contrastes qui insufflent la vie aux toiles. Même les ombres, silhouettes à peine humaines, souvent démembrés, qui sont donc dénués de tout moyen dexpression, nous parlent intensément. Elles aussi, semblent vivantes, pas seulement grâce aux couleurs et aux contrastes: elles sont toujours en mouvement dans un instant déternité et comme contraintes à raconter pour toujours leurs souffrances passées et présentes. Un peu comme ces âmes ou ces esprits tourmentés que notre imagination nous impose parfois, des êtres qui nous hantent constamment parce quils narrivent pas à trouver la paix et la sérénité.
On peut se demander de la même manière: quest-ce qui anime, donne vie aux personnages des romans de Binebine ? Les gens sont rarement décris. On ne connaît deux que les vies difficiles, les désirs, les douleurs, les souffrances interminables, les déceptions, les cauchemars et les fantasmes. Les personnages de Binebine sont animés de rêves impossibles: rêve de partir de Azzouz et de ses compagnons, de traverser le détroit, dans Cannibales; rêve de retrouver Sonia, lamour perdu de Pierrot, dans Pollens; rêve daccomplissement, dêtre un artiste reconnu, Ilias dans Terre dombre brûlée.
Comme dans la peinture, les personnages sont saisis par le récit à un moment ultime, au sommet de la tragédie, si on veut. Ils sont figés dans une attitude de résignation, dacceptation de la mort. Ils ne luttent plus, sabandonnent à la fatalité qui semble les poursuivre. Le seul effort quils accomplissent est celui de nous raconter leurs vies et celles des autres. Au moment où le narrateur commence à nous faire le récit de son histoire, presque tout est joué.Il ne reste que lacte final, qui va se dérouler sous nos yeux.
En fait, la construction dramatique est menée de telle manière que nous-mêmes, lecteurs si peu concernés, nous réalisons quil ny a pas dautre issue, nous ne voyons pas dautre alternative que la mort, véritable ou métaphorique. (…)
Driss Ksikes
in TelQuel Magazine, Casablanca, 2003
Portrait
(…) sa régularité, Binebine la établie en sastreignant à peindre chaque jour et à écrire de longues heures après minuit (sauf quand il fait la fête).
Sa formation de mathématicien a fortement déterminé sa discipline et sa recherche déquilibre. Celle-ci est très visible dans ses toiles où les personnages sont au centre et le vide peu encombrant ou raturé. Et puis, il noublie jamais quil est né, il y a de cela 45 ans, au fin fond dun derb de la médina, au milieu de sept enfants, à Marrakech.
Résultat, sa sensibilité humaine na jamais été aseptisée. “Il mest arrivé de faire des tableaux abstraits, très coloriés, beaux et rien de plus, mais jai préféré revenir à mes personnages, nus, asexués, défigurés, déshumanisés”. Grande constante, ses toiles sont marquées par une douleur profonde gisant au coin de sa mémoire: la répression qui a conduit son frère Aziz à Tazmamart.
Ses masques, triturés, ligotés, défigurés, on dirait le scalpel dun Francis Bacon, sont tous nés de cette blessure. Aujourdhui, elle semble pansée. “Jen sors avec difficulté. Jai fait le tour des masques. Jai envie de tourner la page”.
(…) Même quand il met des masques sur les visages, Binebine croit quil révèle plus quil ne cache. Ces masques ligotés, il en parle sous le patronyme dIlias, pour nous apprendre quil est “né entre une multitude de barreaux quil a vainement essayé de scier sa vie durant”. Mais dans ses derniers tableaux, les masques se superposent, sentassent, comme dans une hécatombe. Manière de sen débarrasser en vrac, de passer à autre chose, mais aussi manière de symboliser les victimes de kamikazes, objet de son roman en chantier. Le passage du roman à la peinture ne cesse jamais chez lui. “Dans les deux, les personnages comptent énormément. Mes tableaux sont narratifs. Quand jécris, cest raisonné. Mais quand je peins, cest plus instinctif. Le hasard a une place plus importante”.
Lartiste aime bien se débarrasser du mathématicien par ce brin de folie nécessaire. Même dans ses romans, derrière un semblant de structure cartésienne, il y a toujours une passion qui dépasse. Dans le dernier, cest Jaffa, cette Palestinienne mélancolique, en perte de repères, au corps généreux, qui assure la note de discordance vitale à son uvre. Dans certains tableaux, les êtres démembrés, récurrents chez lui, sont parfois bordés décritures, des traces que “je me suis mis à dessiner pour jouer et rien dautre”.
Et dans sa démarche décrivain, cest lhumilité de se mettre dans la peau dun loser comme Ilias, qui passe ses journées à croire, dans langoisse, que “la lumière finira par jaillir de ses doigts”.
Cette distance entre le succès et lhumilité, il la cultive en pensant à “la rue étroite et sinueuse où il a grandi”, et quil na jamais voulu oublier pour ne pas se sentir au chaud dans le confort des salons.
Jose GARÇON libération.fr
Junho 2002
ARTS. A Marrakech, les oeuvres dépouillées et à quatre mains du Marocain Mahi Binebine et de l’Espagnol Miguel Galanda. Doubles en fusion
Les toiles, souvent grand format, du Marocain Mahi Binebine et de l’Espagnol Miguel Galanda, réalisées et «à quatre mains», sont de celles qui se définissent avant tout par le choc et l’émotion qu’elles provoquent.
(…) De cette fusion des «marques» de Galanda et de Binebine, se dégage un saisissant questionnement sur l’homme. L’utilisation de matières anciennes (poudres de terre, papiers mâchés, masques antiques) et de formes imposantes, donne naissance à une sorte de figure humaine brute.
D’où l’impression d’une présence inexorable, venue du fond des temps mais se projetant c’est la force et l’originalité de ces peintres dans une extrême modernité. Comme si ces corps mutilés, brisés, leur distorsion, leur désarroi, étaient à l’image de l’homme d’aujourd’hui: fort et fragile. «Le malaise auquel nous sommes condamnés ne nous permet plus de parler de l’être sans penser à sa dissolution, ni de parler du monde sans songer à sa fragmentation, résume la critique Charo Crego dans le catalogue de l’exposition. L’objet de la figuration doit donc se limiter à un être brisé, endolori, désorienté.»
Para mais informações contactar
Maria da Conceição Amaral
Directora do Museu de Arqueologia de Silves
Tel.: 282 444 832 / 918 497 793
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