À 2 900 kilomètres de profondeur, la couche frontière entre le manteau et le noyau terrestre intrigue les géophysiciens, car ils ne savent pas expliquer les données sismiques qui en sont issues. Des chercheurs du Laboratoire de structure et propriété de l’état solide (CNRS/Université Lille 1/ Ecole nationale supérieure de chimie de Lille) ont étudié sa déformation, qui influence les mouvements de convection au sein du manteau, voire celui des plaques tectoniques. Malgré l’inaccessibilité de cette couche et les conditions extrêmes qui y règnent, ils ont réussi à modéliser les défauts responsables de sa déformation. Ce résultat, obtenu grâce à une approche nouvelle alliant calcul numérique et mécanique quantique, est un premier pas dans la modélisation de la déformation de la couche et de ses conséquences sur le manteau. Il est publié dans la revue Nature du 1er mars.
L’intérieur de la Terre nous est inaccessible directement : les forages les plus profonds ne sont que des égratignures. Notre connaissance de la Terre interne provient de l’étude des ondes sismiques qui se propagent dans la Terre à partir du foyer d’un tremblement de Terre. Nous savons aujourd’hui que la Terre est divisée en couches.
La croûte sur laquelle nous vivons ne représente qu’une fine pellicule. L’enveloppe principale s’appelle le manteau. C’est une couche constituée de roches solides qui s’étend jusqu’à 2 900 kilomètres de profondeur. Vient ensuite le noyau, liquide dans sa partie périphérique qui contient une partie solide la « graine » – de 1200 kilomètres de rayon. La frontière entre le manteau et le noyau, appelée couche D”, intrigue les géophysiciens depuis longtemps, car ils ne savent pas expliquer les données sismiques qui en sont issues.
D’un point de vue minéralogique, le manteau terrestre est constitué à 80 pour cent d’un silicate (MgSiO3) de structure cristalline perovskite. Ce minéral représente la moitié de la masse de la Terre. En 2004, plusieurs équipes, notamment japonaises, ont montré que la perovskite se déstabilise au voisinage de la frontière noyau-manteau, pour former une nouvelle phase, la post-perovskite. La déformation de la post-perovskite explique-t-elle la signature sismique de la couche D” ?
C’est l’hypothèse de laquelle sont partis Patrick Cordier et ses collègues[1]. Mais comment un solide cristallin peut-il se déformer? La réponse se trouve à l’échelle atomique : les cristaux contiennent des défauts appelés dislocations qui sont responsables de la déformation plastique. Si leur structure est assez bien connue dans les matériaux simples, comme certains métaux (cuivre, aluminium,), les chercheurs n’avaient que peu d’idées sur la structure des dislocations dans des matériaux complexes comme les minéraux, a fortiori dans des conditions extrêmes de pressions. L’équipe lilloise a utilisé une nouvelle approche : au lieu de reproduire en laboratoire les conditions de l’intérieur de la Terre, les chercheurs ont utilisé la simulation, en injectant des résultats de la mécanique quantique dans un modèle numérique pour le rendre plus léger. Ils sont les premiers à avoir modélisé des dislocations à l’échelle atomique pour des matériaux complexes sous très hautes pressions.
Les dislocations dont nous connaissons aujourd’hui la structure se déplacent dans le cristal et interagissent entre elles. Les chercheurs disposent aujourd’hui de codes de calculs permettant de décrire ces interactions. Ils veulent maintenant éclaircir le comportement de chaque grain de matière cristalline, puis de la roche et, au-delà, du manteau. Un rêve ? Peut être pas. Les progrès accomplis ces dernières années permettent d’être optimiste. Et si le voyage au centre de la Terre était numérique ?
[1] Laboratoire de structure et propriété de l’État solide (CNRS/Université Lille 1/ Ecole nationale supérieure de chimie de Lille)
Figure 1 Modèle de dislocation dans la phase post-perovskite de la couche D”.Ce type de dislocation est responsable de la déformation de cette couche, qui influence les mouvements de convection au sein du manteau, que nous percevons à travers la tectonique des plaques. © Patrick Cordier – CNRS 2007 (cette image est disponible auprès de la photothèque du CNRS, 01 45 07 57 90, [email protected]) |
Références :
Implications for plastic flow in the deep mantle from modelling dislocations in MgSiO3 minerals, Philippe Carrez, Denise Ferré & Patrick Cordier, Nature, 1er Mars 2007.
Contacts : |
Contact chercheur Patrick Cordier T 03 20 43 43 41 [email protected] Contact presse |
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