Cancer colo-rectal : Le gène Notch, nouvel acteur du développement intestinal des perspectives thérapeutiques prometteuses et une meilleure compréhension de la cancérogenèse
A l’issue d’une collaboration exemplaire, le groupe de Spyros Artavanis-Tsakonas à Boston et l’équipe CNRS de Daniel Louvard à l’Institut Curie viennent de découvrir un nouvel acteur indispensable au développement intestinal : le gène Notch. Dans les villosités intestinales, ce gène permet de maintenir l’équilibre entre les cellules souches et les cellules différenciées, essentiel au renouvellement de ce tissu.
Parallèlement un groupe néerlandais, avec lequel a collaboré l’équipe de Daniel Louvard, montre qu’en bloquant l’activité de Notch et donc en obligeant les cellules à se (re)spécialiser, il est possible de faire régresser des polypes, précurseurs des tumeurs colo-rectales, chez la souris.
Ces découvertes ouvrent de nouvelles perspectives dans la compréhension du cancer colo-rectal, notamment sur le rôle des cellules souches dans le développement tumoral, ainsi que des voies prometteuses dans le traitement d’une des tumeurs les plus fréquentes dans le monde.
Ces résultats sont publiés dans Nature du 16 juin 2005.
Le cancer résulte d’une série d’accidents génétiques qui se produisent par étapes : des anomalies s’accumulent sur des gènes qui régulent les processus vitaux (division, différenciation, réparation, apoptose).
L’intestin, “réservoir” de cellules souches
La collaboration exemplaire entamée depuis plusieurs années entre les équipes de Spyros Artavanis-Tsakonas à l’Harvard Medical School (Boston) et l’équipe CNRS de Daniel Louvard (1)à l’Institut Curie qui devrait bientôt atteindre une nouvelle dimension avec l’arrivée de Spyros Artavanis-Tsakonas à l’Institut Curie à la direction du tout nouveau Pôle de biologie du développement apporte aujourd’hui un nouvel éclairage sur le fonctionnement encore peu connu (2) de ces villosités intestinales grâce à l’étude du gène Notch (voir encadré).
Cette voie de signalisation est essentielle au développement de tous les tissus quelque soit l’organisme, mais elle est aussi connue pour son rôle dans la différenciation lors du développement embryonnaire. Le gène Notch semble également impliqué dans le développement tumoral, en tant qu’oncogène. Pour une revue complète sur ce gène : “Notch signaling : cell fate control and signal integration in development” – S. Artavanis-Tsakonas, M. D. Rand, R. J. Lake – Science, 30 avril 1999, vol 284, p. 770-776
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En “allumant” de façon permanente le gène Notch, Silvia Fre(3) montre que les cellules souches et les cellules progénitrices des villosités intestinales ne se spécialisent plus, mais qu’elles prolifèrent. Il en résulte une amplification du compartiment indifférencié à la base des villosités ; ce résultat pourrait permettre l’isolement et l’identification de ces rares cellules, responsables du renouvellement intestinal et à l’origine du processus tumoral. Le gène Notch est donc un des acteurs-clés du maintien de l’état indifférencié de ces cellules dans les villosités.
En parallèle à ce travail, dans le même numéro de Nature, l’étude de l’équipe d’Hans Clevers à laquelle ont contribué Sylvie Robine (directeur de recherche Inserm) de l’équipe de Daniel Louvard à l’Institut Curie et des équipes suisse et britannique montre qu’en “éteignant” le gène Notch, les cellules progénitrices se spécialisent.
Ces deux études complémentaires apportent pour la première fois la preuve directe de l’implication du gène Notch dans le fonctionnement des villosités intestinales : la fonction “d’interrupteur” de Notch permet, selon qu’il est allumé ou éteint, de maintenir un équilibre entre cellules souches et cellules différenciées.
Des perspectives thérapeutiques prometteuses dans le cancer colo-rectal
Par ailleurs, sachant que les inhibiteurs d’g-secretase, une famille de molécules initialement développées pour le traitement de la maladie d’Alzheimer, bloquent l’activation de Notch, l’équipe d’Hans Clevers les a administré à des souris porteuses d’un adénome colique. Les résultats obtenus montrent que ce traitement, en forçant les cellules tumorales à se spécialiser, entraîne une régression des adénomes.
Ces molécules ouvrent ainsi une voie thérapeutique prometteuse pour le cancer colo-rectal, l’une des tumeurs les plus fréquentes en France et dans le monde (voir “Pour en savoir plus” p. 3).
Une meilleure compréhension du lien entre cellules souches et cancer
Le modèle mis au point par les équipes de Spyros Artavanis-Tsakonas et Daniel Louvard devrait permettre d’étudier plus précisément l’implication des cellules progénitrices et des cellules souches dans le développement des cancers colo-rectaux. Compte tenu de la rapidité de renouvellement du tissu intestinal (3 à 5 jours), les altérations survenant dans les cellules déjà différenciées des villosités ont peu de chance de donner naissance à des cellules tumorales. Il semblerait que seules les altérations touchant les cellules souches ou les cellules progénitrices des villosités intestinales puissent être à l’origine d’une tumeur colo-rectale.
Le modèle développé par ces deux équipes servira donc à mieux comprendre le développement de ces tumeurs, et, dans la perspective d’un traitement ciblé sur les cellules souches, le rôle et le fonctionnement de ces cellules très particulières.
L’ensemble de ces résultats ouvre de nouvelles perspectives dans la compréhension du cancer colo-rectal et des voies prometteuses dans le traitement d’une des tumeurs les plus fréquentes dans le monde.
Les travaux de l’équipe de Daniel Louvard sont financés par l’Institut Curie, le ministère de la Recherche et le CNRS ; ce programme est par ailleurs soutenu depuis 10 ans par l’Association pour la Recherche sur le Cancer (ARC).
Les travaux du Pr Spyros Artavanis-Tsakonas sont entre autres financés par le Collège de France où il a été nommé en 2000 à la chaire de Génétique et Biologie du développement où il poursuit l’enseignement de Nicole Le Douarin.
Pour en savoir plus
Le cancer colo-rectal
Avec 36 000 nouveaux cas diagnostiqués et 16 000 décès par an, le cancer colo-rectal est le deuxième cancer en termes de fréquence, tous sexes confondus, en France. Son incidence augmente avec l’âge.
Dans certains cas, il se développe à partir d’une tumeur bénigne, un adénome plus connu sous le nom de polype. Inaccessible et ne provoquant aucune douleur, le cancer colo-rectal a longtemps été diagnostiqué tardivement.
De l’intérêt du dépistage
Le dépistage est en train de s’étendre dans la population âgée de 50 à 74 ans. Il repose sur le test Hemoccult® qui détecte la présence de sang dans les selles. Si le test est positif, une coloscopie est prescrite pour rechercher l’origine du saignement. Un dispositif constitué d’une fibre optique, d’une caméra et d’une pince chirurgicale permet de repérer les lésions et de prélever un échantillon du tissu intestinal suspect pour ensuite l’analyser en histologie et établir le diagnostic.
Un court de tennis pour intestin L’intestin est composé de l’intestin grêle, d’une longueur avoisinant les 7 m et du côlon, ou gros intestin, long d’environ 1,4 m. Déployé, le tissu intestinal représente une surface de 300 m2, soit une étendue proche de celle d’un court de tennis !
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Des traitements en progrès
Grâce au dépistage précoce, 55 à 60 % des patients sont vus avant qu’il n’y ait eu dissémination de la tumeur. Le traitement est alors chirurgical. Les progrès obtenus ces dernières années dans cette discipline permettent dans la plupart des cas de conserver les fonctions intestinales.
Quand la tumeur est volumineuse, une radiothérapie peut être pratiquée avant l’acte chirurgical afin de réduire sa taille et ainsi la rendre opérable.
Lorsque la tumeur prend une forme invasive ou que des métastases sont détectées, la chimiothérapie permet désormais d’améliorer le pronostic. Le 5-fluoro-uracile (5-FU) est la molécule la plus utilisée, souvent en association avec d’autres médicaments dont une vitamine (la leucovorine) pour en augmenter l’efficacité.
Récemment, l’efficacité de nouvelles molécules a été démontrée pour les formes de cancer colo-rectal avancé. C’est notamment le cas de l’irinotecan (CPT-11) et de l’oxaliplatine. Les associations du 5-FU, de la leucovorine, du CPT-11 ou de l’oxaliplatine sont désormais des traitements standards des cancers colo-rectaux métastatiques.
Comment améliorer la prévention
Si l’obésité représente un facteur de risque avéré, une alimentation riche en fruits et légumes, pauvre en graisse et en viande rouge, associée à une activité physique régulière semblent réduire les risques de cancer colo-rectal.
Bien que peu fréquentes (5 % des cancers), il existe des formes familiales de cancers colo-rectaux. Elles sont liées à des mutations génétiques. Une surveillance régulière dans les familles, où un nombre anormalement élevé de cancers colo-rectaux est observé, permet de retirer les lésions précancéreuses à temps et d’éviter ainsi la survenue de cancers.
Notes :
[1]Le Pr Spyros Artavanis-Tsakonas est directeur du programme de Biologie du Développement et Cancer au Cancer Center du Massachusetts General Hospital de Boston (Etats-Unis). Titulaire de la chaire K. Isselbacher – C.P. Schwarz au Département de Biologie cellulaire de la Harvard Medical School, il est pressenti pour diriger le Pôle de biologie du développement qui doit voir le jour en 2007 à l’Institut Curie.
Le Pr Daniel Louvard est directeur du Centre de Recherche de l’Institut Curie et membre du conseil scientifique de l’Institut National du Cancer. Directeur de recherche de Classe exceptionnelle au CNRS, son équipe “Morphogenèse et signalisation cellulaires” fait partie de l’Unité Mixte de Recherche 144 CNRS/Institut Curie “Compartimentation et dynamique cellulaires”.
[2] A ce jour, seule la voie Wnt, l’une des voies de signalisation cellulaire impliquée notamment dans les interactions entre cellules lors de l’embryogenèse, est connue pour contrôler le cheminement des cellules le long des villosités intestinales.
3 Après avoir effectué un stage postdoctoral dans le laboratoire de Spyros Artavanis-Tsakonas à Boston, Silvia Fre a rejoint l’équipe de Daniel Louvard à l’Institut Curie.
Références :
“Notch signals control the fate of immature progenitor cells in the intestine”
Silvia Fre1, 2, Mathilde Huyghe2, Philippos Mourikis1, Sylvie Robine2, Daniel Louvard2, Spyros Artavanis-Tsakonas1,3
1Department of Cell Biology, Harvard Medical School, Massachusetts General Hospital, Cancer Center, Charlestown, Massachusetts 2Morphogenesis and Intracellular Signaling, UMR 144 CNRS/IC, Paris, 3 Collège de France, Paris
Nature , 16 juin, vol. 435
“Notch pathway/-secretase inhibition turns proliferative cells in intestinal crypts and neoplasia into goblet cells”
Johan H. van Es1, Marielle E.van Gijn1, Orbicia Riccio2, Maaike van den Born1, Marc Vooijs1, Harry Begthel1, Miranda Cozijnsen1, Sylvie Robine3, Doug J. Winton4, Freddy Radtke2, Hans Clevers1
1 Hubrecht Laboratory, Netherlands Institute for Developmental Biology, Uppsalalaan 2 Ludwig Institute for Cancer Research, Epalinges, Switzerland 3 Morphogenesis and Intracellular Signaling, UMR 144 CNRS/IC, Paris, 4 Cancer Research, Department of Oncology, Cambridge Institute for Medical Research
Nature , 16 juin, vol. 435
Contacts : |
Institut Curie Catherine Goupillon, Tél. 01 44 32 40 63, Fax 01 44 32 41 67, [email protected] Céline Giustranti, Tél. 01 44 32 40 64, Fax 01 44 32 41 67, [email protected] CNRS |
L’intestin est constitué d’une multitude de plis serrés les villosités d’une hauteur de quelques centaines de cellules. Au fond des villosités se trouvent des cellules souches et des cellules progénitrices. Les cellules souches donnent naissance aux cellules progénitrices. Ces dernières relativement indifférenciées, et donc sans fonction propre, constituent une première étape entre les cellules souches et les cellules spécialisées. Elles donnent naissance aux quatre types de cellules présentes dans l’intestin. Les cellules progénitrices engendrent des cellules qui remontent le long des villosités et acquièrent progressivement leur fonction de digestion. Arrivées au sommet, ces cellules devenues spécialisées “meurent” et sont digérées. Ce cycle dure quelques heures et l’ensemble du tissu intestinal se renouvelle en 3 à 5 jours.
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