Toumaï, l’ancêtre des humains : nouveaux fossiles et reconstruction 3D du crâne
Michel Brunet et ses collègues de la Mission paléoanthropologique franco tchadienne (MPFT) (1) viennent d’attribuer de nouveaux fossiles à Sahelanthropus tchadensis, dit Toumaï. Ils ont également réalisé la reconstruction 3D de son crâne. Ces nouvelles données font l’objet de deux articles et de la couverture de la revue Nature du 7 avril 2005. Elles confirment que Toumaï, âgé de sept millions d’années, est proche du dernier ancêtre commun aux chimpanzés et aux humains et représente la plus ancienne espèce connue du rameau humain.
Six fossiles étaient jusqu’à ce jour attribués à Toumaï : un crâne, deux fragments de mâchoire inférieure et trois dents. Deux mandibules et une prémolaire supérieure viennent d’être décrites.
Ces éléments de la tête osseuse et des dents permettent d’envisager une taille de 105- 120 cm c’est à dire proche de celle du chimpanzé commun (Pan troglodytes). Mais Toumaï ne ressemble ni à un chimpanzé, ni à un gorillePar sa denture (incisives, canines, prémolaires et molaires) il se distingue des deux autres hominidés plus récents connus dans le Miocène terminal : Orrorin tugenensis au Kenya et Ardipithecus kadabba en Ethiopie. Par sa morphologie crânienne (face, capsule cérébrale et base du crâne) et sa denture plus primitive (canines moins dérivées et émail des dents jugales moins épais) il se différencie également de tous les Australopithèques décrits à ce jour. Il partage en revanche des caractères dérivés avec les hominidés bipèdes plus récents : similitudes de la face (prognathisme faible), du basicrâne (raccourcissement du basioccipital entraînant le début de la migration vers l’avant du trou occipital) et une forte inclinaison vers l’arrière de la face nucale.
Le crâne de Sahelanthropus tchadensis est sub-complet mais a été déformé et fracturé durant la fossilisation. Il est important de pouvoir rétablir la forme d’origine et ainsi observer et préciser les détails de différents caractères anatomiques, comme ceux liés à la locomotion. La reconstruction virtuelle est une méthode non invasive : le crâne fossile déformé est numérisé puis transformé en un crâne virtuel qui peut être détruit et reconstruit sans aucun risque pour l’original. Les morceaux sont isolés et ré-assemblés électroniquement, et les déformations sont corrigées. Pour s’assurer de la cohérence de la reconstruction, deux protocoles indépendants sont utilisés. Le premier est uniquement géométrique, le second utilise les contraintes anatomiques existantes chez les crânes de primates : singes, grands singes et hominidés. Les deux protocoles de la procédure ont été réalisés à deux reprises par deux membres de l’équipe.
L’analyse morphométrique de la reconstruction finale montre que Toumaï se range dans le groupe des hominidés et non dans celui des grands singes. Un dernier test montre même qu’il est anatomiquement impossible de reconstruire le crâne de Toumaï en gorille ou en chimpanzé car alors il éclate et perd son intégrité anatomique.
Le nouveau matériel décrit et l’étude morphométrique de la reconstruction 3D confirment que Toumaï présente une mosaïque originale de caractères primitifs et dérivés qui le distingue à la fois des grands singes africains actuels, gorilles et chimpanzés, mais aussi de tous les autres genres d’hominidés fossiles décrits jusqu’à ce jour : Homo, Australopithecus, Kenyanthropus Ardipithecus et Orrorin. Ses caractères anatomiques permettent de le considérer comme proche du dernier ancêtre commun aux chimpanzés et aux humains mais aussi comme le plus ancien représentant des hominidés. Sa position géographique, 2500 km à l’ouest de la Vallée du Rift, et son âge très ancien, 7 millions d’années, suggèrent une distribution africaine plus large et plus précoce des hominidés (au moins dès 6 Ma) et une divergence chimpanzé-humain plus ancienne que ne le proposaient la plupart des auteurs.
Les fossiles de Sahelanthropus tchadensis ont été décrits en 2002 (2) au nord du Tchad, dans la partie occidentale de l’erg dunaire du Djourab, plus précisément dans la région de Toros-Menalla. Ce secteur fossilifère est situé à 2500 km à l’ouest de la Vallée du Rift et à 150 km à l’ouest des sites de Koro-Toro qui ont livré Abel.
Le nom de Toumaï signifie en langue Goran « espoir de vie ». Dans le désert du Djourab, il est donné aux jeunes enfants nés avant la saison sèche.
Depuis 1994, 400 sites à vertébrés fossiles ont été répertoriés et trois d’entre eux ont livré des restes du Sahelanthrope. Tous ces fossiles proviennent de grès périlacustres. La région de Toros-Menalla était située entre lac et désert et Toumai côtoyait une faune riche et diversifiée composée d’une cinquantaine d’espèces dont plus de la moitié sont des mammifères : faunes aquatiques (poissons, crocodiles, serpents, tortues), amphibies (anthracothères, hippopotames), avec en bordure de l’eau des îlots de forêt (singes), mais aussi une savane arborée parsemée de prairies à graminées (rongeurs, lagomorphes proboscidiens, équidés, bovidés). Le degré évolutif des différentes espèces de mammifères de cette faune a permis d’indiquer que Toumaï était âgé de 7 millions d’années.
Notes :
(1) Michel Brunet, est Professeur à l’Université de Poitiers (actuellement mis à disposition du Collège de France : Chaire de paléoanthropologie et de préhistoire) et directeur du Laboratoire de géobiologie, biochronologie et paléontologie humaine (CNRS Université de Poitiers).
La Mission paléoanthropologique franco tchadienne (MPFT) est une collaboration scientifique entre l’Université de Poitiers, le CNRS, l’Université de N’Djaména et le Centre national d’appui à la recherche (CNAR, N’Djaména). Elle conduit au Tchad un programme international de recherches sur l’origine et les environnements des premiers hominidés. Elle est dirigée par Michel Brunet.
(2) Michel Brunet & al, « A new hominid from the Upper Miocene of Chad, Central Africa ». Nature 418, 11 juillet 2002.
Références :
« New material of the earliest hominid from the Upper Miocene of Chad ». Michel Brunet, Franck Guy, David Pilbeam, Daniel E. Lieberman, Andossa Likius, Hassane T. Mackaye, Marcia S. Ponce de Leon, Christoph P. E. Zollikofer &, Patrick Vignaud. Nature, 7 avril 2005
« Virtual cranial reconstruction of Sahelanthropus tchadensis ». Christoph P. E. Zollikofer, Marcia S. Ponce de Leon, Daniel E. Lieberman, Franck Guy, David Pilbeam, Andossa Likius, Hassane T. Mackaye, Patrick Vignaud & Michel Brunet. Nature, 7 avril 2005
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