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Avoir la langue bien pendue

05 Sep 2006

A chaque instant de nos échanges les mots coulent et sinscrivent sur la grande table découte de linterlocuteur. Ils ne sont pas plutôt sortis de notre bouche quils pénètrent chez lautre, au plus profond de son être. Ils y restent inscrits, longtemps. Ils accompagnent nos gestes et les prolongent longtemps après que le son se soit dérobé sous nos lèvres. Ceux du poète ou ceux de tous les jours sont importants. Ils ont tous un rôle, une mission. Ils nous font rire, pleurer, commander, accepter ou subir. Ils sadaptent à laquarelle du ciel et sont sombres ou gais. Ils vivent en nous et expriment toujours un sentiment. Ils sont employés dans la violence, au point de faire naître certains conflits. Ils révèlent la peur, la haine ou, merveilleusement, lamour. Ils naissent au coin dune rue ou dans un laboratoire et quittent la scène sur la pointe des pieds. Grâce à eux, le monde change. Ils sont à lorigine dune constante révolution puisquils assurent le tour de lhistoire.

Ce témoignage sociologique nous est rappelé, chaque automne, lors de la sortie en librairie du Petit Larousse. Lenseignant bourguignon natif de Toucy, dans lYonne – avait vu juste et loin, en fondant avec Auguste Boyer, cette grande maison dédition dont luvre maitresse porte encore son nom. Sans prendre partie, convenons de rendre le même hommage à Littré, qui uvra également au milieu du XIXème siècle et à Robert qui, seul et cent ans plus tard, sattela à la tâche. Une reconnaissance justifiée pour ces écrits qui donnent des couleurs aux mots. Ils les habillent et leur attribuent un aspect événementiel que, sans eux, nous naurions pas remarqué avec la même intensité.

Car tous les mots de notre vocabulaire quotidien les noms propres et les autres , entrent par la porte dun usage dont on ne connaît pas bien lorigine et sortent par celle dune usure normale, dont on ignore la cause. Cela ne se dit plus, un point cest tout. Certains deviennent même des « gros mots ». Dautres perdent leur embonpoint. Les mots font leur temps. Ils sont entachés par loutrage des ans. Ils sy agrègent et stigmatisent une civilisation en un lieu donné à une certaine époque. Les apports des uns et lHistoire des autres sentrecroisent, se marient ici plus quailleurs, et font naître cette nouvelle langue que les générations se traduisent lune lautre, pour essayer de se comprendre.

Tout a été dit ou presque sur les anglicismes ou autres barbarismes subis par notre langue. Là nest pas le sujet. Les goths et les wisigoths ont déjà, par le passé, tordu le cou de certains latins sans pour autant les faire disparaître. Les mots, comme les hommes sadaptent aux situations quils rencontrent et font tout pour survivre. A ce titre, ils sont le signe de lespèce, puisquils se modifient et se transforment sous tous les cieux.

Cela étant, les habitudes ont la vie dure. Ainsi il demeure encore plus facile aujourdhui de « sétonner » en constatant un événement plutôt que de sexprimer par ce fameux « jhallucine ». A ce sujet, remarquons que, régulièrement, lusage du verbe devient « grave » et que ne sachant « si ça va le faire » on conjugue nimporte quel mot pour éviter de « criser » devant son ignorance. A défaut, on le met entre « guillemets », une habitude importée dOutre Atlantique pour donner de limportance à quelque chose qui nen a pas ou pour sexcuser demployer un mot qui fait un peu « vintage ». Les antiquités ou même tout ce qui concerne le passé immédiat ont droit à des guillemets qui servent, à loccasion, de majuscules gestuelles puisquil est indispensable, en prononçant le mot, de mettre ses doigts en forme daccent circonflexe. Cest « épatant » – très « tendance » actuellement – ou « Tip-Top », comme vous voulez !

Il faut bien reconnaître que, vus de cette façon, les mots sont la parure de la langue. Ils assurent une trouée dans la nébuleuse de nos pensées. A ce sujet, êtes-vous informé de lornement dont sest parée – selon « la grande presse » – Laure Manaudou ? Un « percing » sur la langue parait-il ! Nest-ce-pas là une autre manière de faire « la totale » pour avoir ainsi la langue bien pendue ?

Gérard Gorrias

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