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Bien voir aide à mieux entendre

06 Avr 2007

CNRS

logo-cnrs.gifCommuniqué de presse – Quels mécanismes régissent la perception de la parole chez les personnes sourdes portant un implant cochléaire? Pour répondre à cette question, Pascal Barone, Olivier Deguine (1) et leur équipe ont engagé une étude sur cent patients sourds et implantés cochléaires. Fruits d’une étroite collaboration entre le Centre de recherche cerveau et cognition (CERCO, CNRS / Université Toulouse 3) et le service ORL de l’hôpital Purpan à Toulouse, ces travaux révèlent de meilleures aptitudes de fusion visuelles et auditives chez les patients sourds implantés par rapport aux “normo-entendants”.

Publiés le 2 avril dans la revue PNAS, ces résultats suggèrent, entre autres, de privilégier les interactions audiovisuelles lors de la rééducation orthophonique des sujets implantés.

Nul doute que la parole est une activité fondamentalement audiovisuelle. Prenons le cas d’une personne avec une audition normale : parfois, en milieu bruyant par exemple, celle-ci s’appuie sur les informations véhiculées par les mouvements des lèvres du locuteur afin de compléter et corriger ce qu’elle peut avoir mal entendu. On parle alors de lecture labiale. Or, seules les informations visuelles sont accessibles aux personnes sourdes qui développent des stratégies de compensation, notamment basées sur la lecture labiale.

 

À l’heure actuelle, l’implantation cochléaire constitue l’un des traitements les plus efficaces pour sortir du monde du silence. Elle engendre, même après une surdité profonde, une récupération des capacités auditives et permet d’entendre des phrases compréhensibles, certes avec plus ou moins de facilité. Toutefois, les mécanismes perceptifs et neuronaux à l’uvre lors de cette récupération demeurent jusqu’à présent méconnus. 

 

En s’intéressant ainsi aux mécanismes de perception de la parole chez des patients sourds post-linguaux (2) portant un implant cochléaire (3), Pascal Barone et son équipe toulousaine ont réalisé un suivi des mécanismes d’intégration audiovisuelle de la parole auprès d’une centaine de sujets. Leur principal objectif consistait à mieux comprendre l’importance respective de l’information visuelle et de l’information auditive chez un patient implanté, visant, in fine, à une adaptation cohérente des méthodes de réhabilitation orthophonique (4) après implantation cochléaire. 

 

Menée sur cent patients quelquefois implantés depuis 10 ans, l’étude a porté sur les capacités de reconnaissance des mots selon trois modalités, à savoir visuelle (lecture labiale), auditive (implant cochléaire) et visio-auditive. Premier résultat, la compréhension de la parole dans le cadre d’une stimulation acoustique (5) augmente rapidement durant les premiers mois, pour atteindre des niveaux stables et supérieurs à 80% après une année de stimulation. Ce qui prouve la réussite de l’implant pour retrouver l’intelligibilité de la parole. Second point important, les performances des porteurs d’implants en lecture labiale restent remarquablement élevées : 35% contre 9% pour les “normo-entendants”. Ainsi, les personnes sourdes compensent bien leur déficit auditif par l’acquisition d’aptitudes visuelles sur-développées. Mais, le plus remarquable est la stabilité des performances de lecture labiale plusieurs années après la pose de l’implant, et ce malgré une forte récupération des fonctions auditives. De plus, la combinaison entre récupération auditive liée à l’implant et compensation par lecture labiale permet aux sujets implantés d’atteindre des scores de compréhension de la parole quasi-parfaits. 

 

“Normo-entendants” et sourds implantés : des performances différentes

Approfondissant leur prospection, les chercheurs ont effectué les mêmes tests sur des personnes à l’audition normale chez lesquelles ils ont dégradé les informations auditives perçues, de manière à ce qu’elles soient d’une qualité appauvrie identique à celles des porteurs d’implant (6). Conformément à leurs hypothèses, les sujets sourds implantés obtiennent de meilleures performances audiovisuelles que les personnes normo-entendantes. Un résultat qui implique, chez les patients implantés, un développement particulier de leur capacité à intégrer la parole audiovisuelle, grâce auquel ils compensent en partie la déperdition d’informations sonores après traitement par implant cochléaire.

 

Sur le plan neuroscientifique, ces conclusions suggèrent, durant la première année post-implantatoire, une réorganisation des régions cérébrales impliquées dans la compréhension de la parole. Elles supposent également de renforcer les interactions audiovisuelles lors de la rééducation orthophonique des personnes implantées, en vue d’une récupération plus rapide de l’intelligibilité de la parole.

Notes :
(1) “Centre de recherche cerveau et cognition” (CERCO, CNRS / Université Toulouse 3).
(2) Il s’agit de personnes devenues sourdes après avoir appris à parler.
(3) Un implant cochléaire est une neuro-prothèse auditive, dont le rôle est de stimuler le nerf auditif afin de transmettre les informations sonores aux structures cérébrales sous la forme d’un message électrique. Il est constitué d’une partie externe qui capte les sons, avant de les transférer à une série d’électrodes implantées dans l’oreille interne. Certaines conditions sont nécessaires pour bénéficier de cette technologie qui n’est utilisée que lorsque l’appareillage “traditionnel” a atteint ses limites.
(4) La rééducation orthophonique permet à la personne implantée d’apprendre à écouter, décoder, comprendre et donner du sens aux différents sons du langage ou de la vie quotidienne qu’elle perçoit de façon distordue au travers de l’implant cochléaire.
(5) Il s’agit tout simplement de faire écouter aux patients des mots simples, et d’évaluer si le patient a bien compris le mot entendu.
(6) Cette dégradation est réalisée via une simulation informatique du traitement sonore, tel qu’il est effectué par l’implant cochléaire (vocodeur).

Références :
Evidence that cochlear implanted deaf patients are better multisensory integrators. J. Rouger, S. Lagleyre, B. Fraysse, S. Deneve, O. Deguine and P. Barone. PNAS. 2 avril 2007.

 

Contacts :
Chercheur
Pascal Barone
T 05 62 17 37 79
[email protected]

Presse
Priscilla Dacher
T 01 44 96 46 06
[email protected]

 

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