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Biophysique : Quand les chromosomes font leur “stretching”

26 Avr 2006

CNRS

communiques de presse du cnrsDes biophysiciens de l’Institut Curie/CNRS, en collaboration avec des physiciens du CNRS viennent de démontrer la très grande élasticité de la « chromatine », la structure responsable de l’organisation du matériel génétique dans la cellule. Cette souplesse a été observée grâce à des expériences de nanomanipulation sur une molécule individuelle d’ADN. Cette propriété permet notamment de faciliter le travail des enzymes dont la mission est de « lire » le matériel génétique ou de le réparer en cas d’altération. Lorsque des mutations demeurent dans l’ADN, il y a en effet un risque d’apparition de cellules déficientes, voire tumorales. L’élasticité de la chromatine a donc une importance cruciale dans la vie de la cellule.
Le matériel génétique n’a à l’évidence pas encore livré tous ses secrets. Jusqu’ici, seules sa composition chimique et son organisation spatiale étaient prises en compte. C’était sans compter sur le rôle des propriétés physiques de l’ADN, comme sa réponse à des forces de torsion, dans sa fonctionnalité, qui commence à être compris. Ces découvertes sont publiées dans la revue Nature Structural & Molecular Biology de mai 2006.


 Chacune de nos cellules possède l’ensemble des informations nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme. Ces informations utiles à la synthèse de toutes les protéines sont écrites sur l’ADN sous la forme d’un code génétique, un « livre » d’une grande complexité composé d’environ 3 milliards de lettres. Or, l’organisation spatiale de ce code génétique dans le noyau ne se fait pas au hasard : l’agencement en 3 dimensions du matériel génétique procure des informations qui s’ajoutent à celle du code génétique. Il existe donc plusieurs niveaux de lecture de l’ADN.

La moindre erreur dans cet agencement ultra sophistiqué peut entraîner une désorganisation du génome, des modifications dans l’expression des gènes et à terme des dysfonctionnements au niveau de la cellule.

Assouplissement de chromatine

La très haute organisation de l’ADN (voir encadré p. 2) s’appuie en tout premier lieu sur les histones(1). La double hélice d’ADN, en s’enroulant autour de ces protéines “compactrices” forme un collier de perles. C’est la chromatine.

En jouant sur la compaction, il est possible de moduler l’accessibilité de l’ADN aux protéines, ce qui a une influence sur son activité de transcription, de réparation… L’organisation de la chromatine est notamment impliquée dans la régulation de l’expression des gènes.

A l’Institut Curie, l’équipe CNRS de Jean-Louis Viovy(2) a commencé à s’intéresser à la compaction de la chromatine lors d’une collaboration avec celle de Geneviève Almouzni(3), spécialiste du domaine. Elle approfondit aujourd’hui l’étude de la mécanique de cette structure en coopérant avec les équipes de biologistes d’Ariel Prunell à l’Institut Jacques Monod, de théoriciens de Jean-Marc Victor à l’Université Paris VI et de Vincent Croquette à l’Ecole Normale Supérieure de Paris.

En utilisant un « scotch moléculaire », une bille de quelques microns est attachée à l’extrémité de l’ADN. Cette bille peut être observée au microscope, ce qui permet d’en déduire la position de l’extrémité de la molécule d’ADN. De façon analogue, la seconde extrémité de la molécule est attachée à la paroi d’un récipient. Grâce à des aimants, on peut exercer une force sur la bille et ainsi étirer la molécule d’ADN.

C’est grâce à ce principe de « pinces magnétiques » que les chercheurs attrapent une fibre d’ADN individuelle par ses extrémités et lui appliquent des torsions et des forces comparables à celles exercées par les molécules biologiques. Ils montrent ainsi que la fibre de chromatine est extrêmement « souple » : elle peut subir de nombreuses torsions dans le sens des aiguilles d’une montre aussi bien que dans le sens opposé sans que sa longueur ne soit modifiée. Cette plasticité, cinq fois supérieure à celle de l’ADN nu, peut s’expliquer par un modèle théorique dans lequel il existe un état d’équilibre entre 3 configurations différentes de la chromatine.

La grande souplesse du collier de perles d’ADN est très certainement essentielle aux fonctions cellulaires. Elle permettrait en particulier à la fibre de chromatine d’absorber, sans être détruite, les torsions qu’induisent les enzymes chargées de la transcription de l’ADN, et cela, sans l’aide d’autres protéines. Cette élasticité permettrait également de transmettre à distance, grâce aux réorganisations engendrées par l’action des enzymes, des informations sur leur mode d’action.

En conclusion, la souplesse de la fibre de chromatine facilite et accélère la capacité de réaction de l’ADN face aux changements de son environnement. Cette élasticité participe à la régulation de l’expression des gènes et aux fonctions cellulaires.

Seules des approches de biophysique à l’échelle de la molécule unique permettent de telles observations, indispensables pour mieux comprendre le fonctionnement de la cellule. Comprendre la molécule d’ADN et ses interactions nécessite donc de l’appréhender sous de multiples aspects.

 

Notes :
1) Véritables partenaires de l’ADN, les histones apportent une information supplémentaire au code génétique. Un langage qui a été baptisé “code histone”. Ces petites protéines, très conservées au cours de l’évolution, sont les plus abondantes dans le noyau cellulaire. Au total chaque cellule dispose de 60 millions d’histones, ce qui représente une masse voisine de celle du matériel génétique.
2) Equipe « Macromolécules et Microsystèmes en Biologie et en Médecine » dans l’UMR 168 CNRS/Institut Curie « Physicochimie Curie »
3) UMR 218 CNRS/Institut Curie « Dynamique nucléaire et plasticité du génome »

Références :
Structural plasticity of single chromatin fibers revealed by torsional manipulation
Aurélien Bancaud(1), Natalia Conde e Silva(2), Maria Barbi(3), Gaudeline Wagner1, Jean-François Allemand(4), Julien Mozziconacci(3), Christophe Lavelle(2,3), Vincent Croquette(4), Jean-Marc Victor(3), Ariel Prunell(2), Jean-Louis Viovy(1)
(1) UMR 168 CNRS/Institut Curie, (2) UMR 7592 CNRS/Institut Jacques Monod, 3 Laboratoire de Physique Théorique de la Matière Condensée UMR 7600 CNRS, 4 Laboratoire de Physique Statistique UMR 8549 CNRS
Nat. Struct. Mol. Biol. mai 2006, vol. 5.

Contacts :
Contacts presse :

Institut Curie
Catherine Goupillon/Céline Giustranti
Tél. 01 44 32 40 63/64
[email protected]

CNRS
Martine Hasler
Tél. 01 44 96 46 35
[email protected]

 

 

 

La chaîne d’assemblage de l’ADN

 

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D’après Journal of Cell Science (2000) 113, pp. 2647-2658

A l’intérieur du noyau, l’ADN est assemblé en une structure hautement organisée, la chromatine, dont la compaction permet à la fois de « ranger » le matériel génétique mais aussi de l’organiser dans l’espace.

  • La double hélice d’ADN (d’un diamètre de 2 nanomètres) s’enroule dans un premier temps autour de protéines “compactrices”, les histones, pour former un collier de perles (d’un diamètre de 11 nanomètres). Chaque perle correspond à un nucléosome qui est la structure de base universelle chez les eucaryotes.

  • Le collier de perles constitué par une succession de nucléosomes s’organise ensuite en se repliant sur lui-même pour former une fibre.

  • Cette fibre chromatinienne peut encore se replier. La forme de compaction ultime est le chromosome tel qu’il est observé lors de la division cellulaire.

 

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