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Cérémonie de collation solennelle des grades à l’Université de Montréal

01 Juin 2005

NOTRE MONDE A BESOIN PLUS QUE JAMAIS DINSTITUTIONS MULTILATÉRALES CAPABLES DORCHESTRER LA COOPÉRATION ENTRE LES ÉTATS POUR RÉGLER DES PROBLÈMES TRANSFRONTALIERS, DÉCLARE LOUISE FRÉCHETTE

 

Vous trouverez ci-après le texte intégral de lallocution prononcée par la Vice-Secrétaire générale de lONU, Mme Louise Fréchette, à la cérémonie de collation solennelle des grades à lUniversité de Montréal, le 27 mai:

Je suis très émue de recevoir un grade honorifique de lUniversité de Montréal.  Jai passé dans cette université les plus beaux jours de ma jeunesse.  Jy ai été étudiante à un moment exaltant de notre histoire collective et ce que jai appris ici et pas seulement dans les salles de cours a influencé profondément les choix que jai faits par la suite.

Je félicite chaleureusement les éminentes personnalités que vous honorez en même temps que moi.  Je crois que je parle en notre nom à tous en vous disant combien nous sommes reconnaissants de lhonneur que vous nous faites.

Mes félicitations vont aussi à chacun dentre vous qui recevez aujourdhui votre diplôme.  Jimagine facilement la joie et le soulagement que vous ressentez dêtre enfin arrivés au terme de votre projet universitaire.

Lorsque jétais étudiante, lUniversité de Montréal était peuplée essentiellement de « pures laines », des jeunes qui, comme moi, étaient issus de familles établies à Montréal depuis plusieurs générations.  Nous avions tous à peu près la même histoire et partagions les mêmes références culturelles. 

En 30 ans, le profil des gradués a beaucoup changé.  Il suffit dun regard pour constater que vous venez de cultures diverses et de toutes les régions du monde.  Un monde où les destins des peuples sont de plus en plus liés.  Un monde en profonde transformation.  Les frontières sestompent.  Les hommes, les idées, les biens circulent de plus en plus facilement. 

Mais cest aussi un monde où les inégalités se creusent, entre le Nord et le Sud, entre les riches et les pauvres, entre ceux qui ont accès au savoir et ceux qui en sont privés. 

Plus dun milliard dindividus survivent avec moins dun dollar par jour.  Chaque année des millions de personnes meurent du sida faute de traitements pourtant disponibles dans les pays développés.  Et la guerre continue de forcer des millions de personnes à quitter leurs foyers pour grossir les rangs des réfugiés et personnes déplacées.

Face à ces réalités, on peut facilement se laisser gagner par un sentiment dimpuissance.  Je vous en prie, ne vous laissez pas prendre par les discours fatalistes de ceux qui renoncent à se battre.  Aucun peuple nest condamné à la pauvreté, à la faim, à la maladie, à la guerre ou à la violence.

Le chemin parcouru depuis la fondation des Nations Unies il y a 60 ans devrait nous convaincre de la capacité infinie des êtres humains à améliorer leur sort et à venir à bout des défis les plus complexes.

Jen veux pour preuve le recul spectaculaire de la pauvreté dans certains pays, particulièrement en Asie. Des centaines de millions de personnes ont maintenant un accès assuré à léducation, à leau potable, à un minimum de soins médicaux, services hors de leur portée il y a à peine quelques décennies.

Jen veux pour preuve la réduction du nombre de conflits armés au cours des dix dernières années et en dépit de leur brutalité, les conflits daujourdhui sont moins meurtriers quautrefois. 

Jen veux aussi pour preuve les progrès accomplis dans la défense et la promotion des droits humains.  Les normes universelles que constituent la Déclaration universelle des droits de lhomme et les multiples conventions internationales élaborées depuis son adoption en 1948 ont transformé la relation entre les citoyens et leur gouvernement.  Près de 60 pour cent des habitants de la planète vivent de nos jours en démocratie et peuvent influencer les décisions qui affectent leur bien-être quotidien.

De plus en plus, lopinion  mondiale exige que la communauté internationale intervienne quand les droits fondamentaux des populations sont bafoués.  Et depuis la création il y a 3 ans de la première Cour pénale internationale, le monde a maintenant à sa disposition une institution capable de mettre fin à limpunité de ceux qui se rendent coupables de crimes de guerre et autres violations graves des doits humains. 

Les progrès réalisés sont dus aux efforts combinés dune multitude dacteurs: les efforts des parents qui se sont sacrifiés pour envoyer leurs enfants à lécole, des chercheurs qui sont parvenus à décupler les rendements agricoles grâce à de nouvelles semences, des petits entrepreneurs souvent des femmes qui ont su mettre à profit des prêts minuscules et créer de nouvelles sources de revenus, des dirigeants politiques qui ont bravé la persécution pour faire respecter leurs droits.  Dans bien des cas, ces efforts nauraient pas abouti sans lappui généreux et désintéressé de partenaires étrangers, quils soient travailleurs humanitaires, activistes des droits de lhomme ou experts en environnement.

Tout en reconnaissant demblée le rôle indiscutable et indispensable de linitiative individuelle, je men voudrais de passer sous silence limportance primordiale des institutions publiques dans le progrès des sociétés.  Je trahirais autrement mon histoire personnelle puisque jy ai passé toute ma vie professionnelle.

Il est tentant par moment de ne voir dans les administrations publiques que des repères de bureaucrates endormis et de rejeter sans appel les politiciens de tout acabit.  Je serai la première à reconnaître que nos institutions publiques, tant nationales quinternationales, sont souvent les premières responsables de leurs déboires et quelles sont éminemment perfectibles, cest le moins quon puisse dire.  Mais la pire réponse serait de sen désintéresser.

Les sociétés ont besoin dinstitutions publiques compétentes.  Pour que les tribunaux, les parlements, les forces de sécurité, les agences de services publics remplissent leur rôle adéquatement, il leur faut des leaders dynamiques et créateurs, des gens capables dimaginer des réponses efficaces aux besoins de la société quils servent et danticiper les défis de lavenir.

Nous mesurons mal dans nos pays avancés les bénéfices incalculables que nous tirons au plan économique et social dune bonne gouvernance publique.  Dans les pays qui émergent de conflits, la mise en place dinstitutions publiques efficaces et intègres est une condition essentielle à la consolidation de la paix et au développement.

Ce qui est vrai pour les institutions nationales lest également pour les organisations internationales. Notre monde a besoin plus que jamais dinstitutions multilatérales capables dorchestrer la coopération entre les États qui est essentielle à la solution des problèmes qui dépassent les frontières.  Comment venir à bout du terrorisme international, comment faire échec à la propagation des maladies infectieuses telles le SRAS, comment contrôler les changements climatiques si ce nest par un effort collectif où chacun sengage à faire sa part.

Il va sans dire que lONU et les autres institutions de coopération internationale doivent pouvoir compter sur les meilleurs talents de la planète. Les défis sont énormément complexes.  Des réponses que nous y apportons collectivement dépend le bien-être, quand ce nest pas la survie même, des populations du globe.

Jespère que nous ninterprèterez pas mes commentaires comme une invitation à devenir tous fonctionnaires.  Dieu nous en préserve!  Mais je vous invite tous à vous intéresser à vos institutions publiques, à faire entendre votre voix, bref à assumer vos responsabilités de citoyens.  Et à lère de la mondialisation, nous ne pouvons plus penser ni agir localement, comme si seuls comptaient les intérêts de notre communauté.  Dorénavant, il faut penser et agir en citoyen du monde.

Merci encore à lUniversité de Montréal pour ce doctorat honorifique.  Félicitations à tous et bonne chance pour lavenir.

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