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Le Conseil d’Etat confirme la mesure d’extradition de Cesare Battisti

26 Mar 2005

Texte du communiqué de presse :

Par trois arrêts de cours d’assises rendus les 13 décembre 1988, 16 février 1990 et 31 mars 1993, les juridictions italiennes ont condamné Cesare Battisti à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’un isolement diurne pendant une période de six mois, pour des faits d’homicides avec circonstances aggravantes commis entre les mois de juin 1978 et d’avril 1979 sur les personnes d’un surveillant de prison, de deux commerçants et d’un agent de police. Ces arrêts ont tous été rendus selon la procédure de contumace alors en vigueur dans cet Etat, c’est-à-dire sans que l’intéressé ait comparu en personne devant ses juges.

Le 3 janvier 2003, les autorités italiennes ont sollicité l’extradition de M. Battisti auprès des autorités françaises, sous la juridiction desquelles l’intéressé séjournait, afin que cette condamnation soit exécutée. La chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris ayant émis un avis favorable à cette mesure, devenu définitif le 13 octobre 2004, le Premier ministre a accordé l’extradition requise par un décret daté du 23 octobre 2004. C’est, précisément, le recours formé au nom de M. Battisti contre ce décret que vient de rejeter le Conseil d’Etat, siégeant dans sa formation de jugement la plus solennelle. Pour statuer ainsi, la Haute Assemblée a notamment écarté quatre griefs soulevés par M. Battisti à l’appui de son recours.

Examinant, en premier lieu, la portée juridique des déclarations faites le 20 avril 1985 par François Mitterrand, Président de la République alors en fonction, lors du congrès de la Ligue des droits de l’homme, et relatives au traitement réservé par les autorités françaises aux demandes d’extradition de ressortissants italiens ayant participé à des actions terroristes en Italie avant de s’établir durablement en France, le Conseil d’Etat a jugé, conformément à une jurisprudence constante, que de tels propos, tenus au surplus par une autorité qui ne disposait pas du pouvoir de décider l’extradition, constituaient de simples déclarations d’intention et étaient, en eux-mêmes, dépourvus d’effet de droit. C’est donc dans un souci de clarté que le Conseil d’Etat a indiqué, par un motif surabondant, que les propos en cause n’avaient, en toute hypothèse, pas vocation à s’appliquer aux personnes condamnées par les juridictions italiennes pour crimes de sang, ce qui est le cas de M. Battisti. De même, la Haute Assemblée a considéré que M. Battisti ne pouvait pas davantage se prévaloir de la simple déclaration d’intention contenue dans la lettre adressée le 4 mars 1998 par le Premier ministre Lionel Jospin aux défenseurs des ressortissants italiens mentionnés ci-dessus.

Le Conseil d’Etat a constaté, en deuxième lieu, que certaines des charges retenues par les juridictions italiennes contre M. Battisti et ayant motivé la condamnation de ce dernier reposaient, pour partie, sur les déclarations de ” repentis “, c’est-à-dire de prévenus ayant accepté de collaborer avec les autorités judiciaires de cet Etat en échange de réductions de peines. Confirmant l’orientation de sa jurisprudence antérieure, la Haute Assemblée a jugé que cette circonstance n’était pas, par elle-même, contraire à l’ordre public français. Le droit positif national organise, en effet, une collaboration de cette nature, renforcée depuis l’entrée en vigueur des dispositions de la loi nº 2004-204 du 9 mars 2004 aujourd’hui reprises à l’article 132-78 du code pénal, et prévoit seulement qu’aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations émanant de personnes repenties – ce qui n’était pas le cas de M. Battisti, comme l’a relevé le Conseil d’Etat. La Haute Assemblée a jugé, en outre, que cette même circonstance ne caractérisait pas davantage une méconnaissance des stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. On notera, sur ce point et à titre de simple illustration, que certains instruments internationaux, tels la convention des Nations-Unies contre la criminalité organisée adoptée le 15 novembre 2000 à New York, incitent les Etats qui y sont parties à introduire, dans leurs législations respectives, des dispositions analogues à celles de l’article 132-78 du code pénal.

Le Conseil d’Etat a écarté, en troisième lieu, l’argumentation principale de la requête, tirée cette fois de ce que la procédure italienne de contumace en vertu de laquelle M. Battisti a été condamné ne serait pas conforme aux exigences découlant notamment de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et relatives à la comparution personnelle des prévenus devant les juridictions répressives. Reprenant à son compte la position de principe adoptée, en cette matière, par la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil d’Etat a jugé que ni cet article, ni l’ordre public français ni davantage les autres conventions internationales signées par la France en matière pénale ne font obstacle à ce qu’une personne soit condamnée ” par défaut “, c’est à dire sans avoir comparu devant le juge, dès lors que l’intéressée peut être regardée comme ayant renoncé de manière non équivoque à cette comparution ou, alternativement, qu’elle peut ultérieurement obtenir d’être rejugée en sa présence dans l’hypothèse, notamment, où elle se rendrait à la justice ou viendrait à être arrêtée. Cette dernière possibilité ne semblant pas ouverte par le droit italien en vigueur, le Conseil d’Etat a donc recherché si la première condition était, en l’espèce, satisfaite. Conformément aux conclusions présentées par le commissaire du gouvernement (membre du Conseil d’Etat chargé, en toute indépendance, de présenter l’affaire à la formation de jugement), la Haute Assemblée a jugé que tel était bien le cas. Elle a notamment relevé en ce sens, d’une part, que M. Battisti avait une connaissance directe, effective et précise des poursuites engagées à son encontre par les autorités italiennes, de leur déroulement et des dates de ses procès, ainsi que le révélaient, par leurs dates, destinataires et contenus, certains documents dont l’existence et l’authenticité avaient été établies par l’instruction conduite devant la juridiction française, d’autre part, que M. Battisti avait bénéficié, devant les juridictions italiennes, de la défense d’avocats qu’il avait personnellement choisis et ce à tous les stades des procédures longues et complexes dont il avait fait l’objet. Le Conseil d’Etat en a déduit que le fait que M. Battisti se soit évadé de prison au cours de cette procédure et soit longtemps resté introuvable, devait être regardé, dans ces circonstances, comme la manifestation non équivoque d’un renoncement à comparaître en personne devant la justice italienne à raison des faits qui ont finalement motivé sa condamnation. Par voie de conséquence, l’extradition de M. Battisti ne l’exposait pas à subir une peine elle-même infligée en violation de l’une des garanties qui lui auraient été reconnues s’il avait été déféré devant les juridictions françaises.

La Haute Assemblée a enfin écarté, en quatrième et dernier lieu, l’argumentation de M. Battisti selon laquelle les autorités françaises devaient, compte tenu du comportement qu’elles avaient manifesté par le passé à son égard, être regardées comme ayant pris, avant l’intervention du décret litigieux, la décision de ne pas l’extrader et ne pouvaient, par suite, légalement retirer les droits que cette dernière décision lui avait ainsi conférés. S’agissant en particulier des titres de séjour successivement décernés à M. Battisti, le Conseil d’Etat a implicitement mais nécessairement jugé que ces actes, pris dans l’exercice des pouvoirs de police administrative, avaient pour seul effet d’ouvrir à M. Battisti un droit à séjourner sur le territoire national et demeuraient étrangers, par leur objet, à la procédure d’extradition, qui constitue un acte de coopération judiciaire internationale. Par voie de conséquence, il ne pouvait en être résulté aucune contrainte sur une éventuelle mise en uvre de cette coopération. M. Battisti ne pouvait davantage se prévaloir de la procédure de naturalisation qu’il avait engagée auprès des autorités françaises, dès lors, d’une part, que celle-ci n’avait pas abouti et, d’autre part, que la qualité de ressortissant français n’est, en tout état de cause, susceptible de faire obstacle au prononcé de l’extradition vers un pays étranger qu’à la condition d’avoir été détenue au moment des faits pour la commission desquels l’extradition est demandée, ce qui n’était pas le cas de M. Battisti.

La mesure d’extradition ainsi confirmée par le Conseil d’Etat ne pourra toutefois être immédiatement exécutée. M. Battisti a en effet pris la fuite après s’être soustrait, le 21 août 2004, aux obligations du contrôle judiciaire auquel les autorités françaises l’avaient astreint. Il fait actuellement l’objet d’un mandat d’arrêt, resté à ce jour infructueux.

 

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